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Une nouvelle crise grecque.
D’un accident ferroviaire à une crise sociétale et politique.

Date 20 juin 2023
Type Articles
Les faits

Le 28 février 2023, vers 23h30, un convoi de marchandise percute un train Intercity avec 342 passagers et 10 employés sur la ligne Athènes-Thessalonique. Ils roulaient sur la même voie mais en sens inverse !

La violence du choc provoque un incendie : de nombreux moyens ont dû être déployés pour secourir les passagers coincés sous les décombres. Le ministre de la Santé se rend rapidement sur place, et le gouvernement organise une réunion de crise.

Trente-six morts sont tout d’abord annoncés. Ce chiffre est porté rapidement à 57 morts par le porte parole des pompiers. De nombreux étudiants se trouvaient à bord après avoir profité d’un week-end prolongé. Les blessés sont dispatchés dans tous les hôpitaux environnants.

La compagnie ferroviaire en cause, Hellenic Train, est une compagnie privée, ancienne filiale d’OSE, qui appartient depuis 2017 au groupe italien Ferrovie dello Stato Italiane. En effet, après la crise économique de 2008 à 2018 qui a frappé la Grèce, un programme de privatisation a été imposé par les bailleurs internationaux, incitant la Grèce à réduire ses dépenses publiques

Ce qui est considéré comme la plus importante catastrophe ferroviaire grecque devient rapidement un sujet politique et la vétusté du système au sens large est pointé du doigt. Ce qui est considéré comme la plus importante catastrophe ferroviaire grecque devient rapidement un sujet politique : la vétusté du système au sens large est pointée du doigt.

Une crise politique

Le ministre des Transports et des Infrastructures, Konstantinos Karamanlis donne sa démission le 1er mars, soulignant que la douleur liée à l’accident était pour lui indescriptible et assumant la responsabilité des erreurs de longues dates de l’État et du système politique grec. Le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis décrète un deuil national de trois jours au lendemain de cet accident.

D’autres parties prenantes vont se faire le relais de cet évènement. C’est notamment le cas des syndicats de conducteurs de trains, qui dénoncent des conditions de travail et une qualité du réseau ferroviaire plus qu’insuffisantes depuis de nombreuses années déjà.

Les manifestations débutent dès le 1er mars, dans plusieurs villes dont Athènes, notamment devant le siège de la compagnie. Les médias et les réseaux sociaux relaient la tristesse des familles des victimes et des syndicats cheminots faisant émerger une colère populaire. Tout le pays a les yeux rivés sur cet accident.

Le gouvernement va prendre régulièrement la parole dans les jours suivants, du nouveau ministre des Transports au Premier ministre. Il reconnait les lacunes du secteur public avec empathie, et focalise l’attention sur le coupable désigné : le chef de gare de Larissa. En effet, le 2 mars, il est arrêté et placé en détention provisoire pour homicides par négligence et blessures corporelles, risquant la peine maximale.

Les déclarations du gouvernement ne vont pas pour autant apaiser la situation. Le 2 mars, des manifestations éclatent à nouveau, et les altercations avec les forces de l’ordre sont violentes. De surcroit, un appel à la grève est lancé par les cheminots pour 24 heures. Le même jour, le groupe italien, propriétaire de la compagnie, refuse toute déclaration, alors que Joe Biden exprime son soutien au peuple grec. La crise s’internationalise.

L’enquête : La gare de Larissa est perquisitionnée le 3 mars.

L’enquête met en lumière de nombreux manquements, notamment celui de l’embauche illégale de l’accusé. En effet, l’homme n’avait plus l’âge légal pour participer à la formation en lien avec son poste. De plus, il n’avait pas accompli le nombre d’heures d’apprentissage nécessaires et a été envoyé sur le terrain sans superviseur. Tout d’abord considéré comme le résultat d’une erreur humaine du chef de gare, cet accident met l’accent sur un système de formation défaillant. Le climat social continue de se détériorer lors des rassemblements populaires et les prises de parole se multiplient, tout particulièrement celles des syndicats étudiants. L’opinion publique se fait l’avocat du chef de gare, pointant du doigt le système tout entier. Les médias présentent officiellement leurs excuses pour ne pas avoir relayé les manquements, malgré les alertes des différents syndicats.

Les journalistes répondent alors à l’appel des syndicats du privé et du public en observant 24 heures de grève le 15 mars. Aucun bulletin d’information n’est diffusé ce jour. Cette grève s’accompagne de revendications salariales.

À la suite de la mise en cause du système d’infrastructure et des revendications populaires,le Parquet européen (EPPO) ouvre une enquête sur les contrats liés au système de signalisation des trains grecs et au contrôle à distance.

Hellenic Train annonce une compensation financière pour les familles des victimes, qui ne peut être inférieure à 21.000 euros en cas de décès selon la règlementation européenne de 2007. La compagnie refuse toujours d’admettre sa responsabilité dans l’accident et porte plainte contre la société publique OSE pour défauts de sécurité sur son réseau.

Malgré les cérémonies organisées et les jours de deuil, la colère perdure et les manifestations violentes se repètent. Le chef de la police, Constantinos Skoumas, est démis de ses fonctions. Le parti d’opposition, Syriza, et son chef de file, Níkos Androulakis, multiplient les déclarations assassines contre le gouvernement en place. Les deux camps se renvoient la balle sur un système en désuétude depuis plusieurs années. Apparait alors l’enjeu politique de cet accident : les élections législatives de mai 2023.

Depuis cet accident, la crise politique continue de se cristalliser en Grèce.

Selon les premiers constats de la RAS (régulateur grec des chemins de fer), de sérieux manquements ont été observés en termes de sécurité et de gestion du réseau ferroviaire. En ce qui concerne la formation inadéquate des employés OSE : personne n’est en mesure de confirmer que le chef de gare a achevé sa formation théorique et pratique. La RAS décide de prendre des mesures « d’urgence en raison d’indications sérieuses de violation de la législation ferroviaire, ce qui constitue une menace sérieuse pour la sécurité publique ». La directrice de la RAS avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur le mauvais état du réseau ferré et le manque de personnel en janvier dernier. La RAS avait infligé une amende de 300.000 euros à Hellenic Train pour ne pas être intervenus alors que 800 passagers ont été bloqués dans des trains au cours de la vague de froid de l’hiver 2022.

Alstom est également mis en cause dans l’affaire de la conduite des travaux ferroviaires grecs. Mediapart a publié une série d’articles sur les retards observés des travaux ferroviaires grecs, dont la Commission Européenne du ministère des finances avait révélé les failles.

Enfin, mardi 16 mai, le Premier ministre Grec et d’anciens membres du gouvernement et d’autres responsables de chemins de fer ont été visés par une plainte. Elle a été déposée par un collectif de familles de victimes de l’accident, le « Collectif des personnes touchées par l’accident de Tempé ». A cinq jours des élections législatives, le Premier ministre dénonce une instrumentalisation de ces élections.