Rencontre insolite :
L’intelligence collective et le « leader facilitateur », deux facteurs de réussite d’une gestion de crise.
Robert de Quelen, expert en matière de leadership et d’organisation et auteur du livre Travailler autrement avec l’intelligence collective, paru aux éditions Leduc, a partagé avec nous sa vision de la gestion de crise. L’intelligence collective et la notion de « leader facilitateur » ont été identifiés comme deux clés essentielles.
Instaurer la confiance au sein de la cellule de crise :
La diversité d’opinion est primordiale au sein d’une cellule de crise afin de s’assurer d’avoir envisagé chaque situation et de limiter les biais cognitifs. Cette diversité peut se développer seulement si les membres de la cellule de crise ont établi un climat de confiance entre eux.
Savoir que l’on peut s’appuyer sur les capacités de ses collègues, choisis pour leur expertise dans leurs domaines respectifs, est une des clés pour un fonctionnement fluide de la cellule de crise. De plus, il est important de respecter le cadre des processus de résolution de la crise, en suivant les étapes établies par le plan de crise. L’objectif est de se concentrer sur la problématique à résoudre en dépassant les « jeux d’ego » et de positionnement. Après la phase de diagnostic dans laquelle on encourage la divergence des points de vue, on va mettre en place une hybridation des idées, combinant les hypothèse/suggestions des divers membres de la cellule. On évite ainsi les angles morts et on dépasse les biais cognitifs tels que l’excès d’optimisme (ou de pessimisme) pour une appréciation plus réaliste de la situation. Ces mécanismes d’intelligence collective assurent un fonctionnement optimal de la cellule de crise.
Par ailleurs, il existe une méthode efficace afin de faire participer tous les membres de l’équipe de gestion de crise en gommant les différences de personnalité ou de statut : le tour de table silencieux. Ce mode de réflexion, mis en place par le directeur, permet à chacun de s’exprimer à son tour, dans un ordre rigoureux, sans être influencé par les autres (surtout s’ils bénéficient d’une plus haute autorité hiérarchique ou morale). Le directeur pose une question sur la manière de résoudre une problématique de la crise en cours et chaque membre de la cellule y répond par écrit. Cette méthode présente l’avantage de donner la parole à tout le monde équitablement et surtout d’éviter les bavardages inutiles.
L’intelligence collective :
D’après Robert de Quelen, l’intelligence collective se définit comme « ce qui se passe lorsque les conditions sont réunies pour qu’un groupe crée plus de valeur ensemble que chacun des individus qui le composent n’en produirait séparément. 1+1=3 ». L’auteur évoque en particulier deux principes : l’avocat du diable et la distinction entre la personne et le rôle.
L’avocat du diable est une technique destinée à éliminer les biais cognitifs. Une personne est spécifiquement désignée pour repérer et indiquer les points faibles d’un raisonnement. Sa mission est aussi d’imaginer les pires situations d’évolution de la crise. Dans l’idéal, à chaque tour de table, une personne différente prend ce rôle de sceptique, de briseur de consensus. Cela permet de vérifier la solidité de l’argumentation. Une précaution indispensable lorsque l’on travaille l’anticipation.
La distinction entre la personne et le rôle est également essentielle, et très difficile. Dans le cas de l’avocat du diable, elle rend acceptables ses remarques car en les exprimant, il ne fait que jouer son rôle avec professionnalisme. On ne peut plus les écarter comme autant d’opinions personnelles. Le fait de jouer ce rôle chacun son tour donne aux membres de la cellule de crise l’occasion de s’entraîner à considérer la situation sous divers points de vue. Cela fait donc partie du processus cognitif. De plus, la distinction entre la personne et le rôle permet aux membres de la cellule de crise de se remplacer les uns les autres si nécessaire, en s’appuyant sur les fiches descriptives du rôle, par exemple en cas d’absence d’un membre.
Ainsi, si l’un des membres de la cellule a le rôle de responsable communication, il pourra également assumer le rôle de l’historien en attendant que ce dernier arrive. Cette flexibilité basée sur les processus est une partie intégrante de l’intelligence collective.
Ce processus de réflexion commun doit avoir été appris et pratiqué en amont grâce à des formations et des exercices. Les retours d’expériences réalisés ensuite par un tiers sont également primordiaux afin de pouvoir reproduire les processus qui ont été efficaces.
Le leader facilitateur :
La posture de leader facilitateur a plusieurs avantages pour le directeur de la cellule de crise. Il lui permet de limiter ses propres biais cognitifs en partageant sa réflexion avec son équipe. Cela ne signifie pas pour autant que la décision finale est collégiale. Le directeur reste in fine responsable de la décision. La façon d’envisager le management d’une cellule de crise ne remet pas en cause la manière dont la décision est prise, mais la façon dont elle est préparée.
Le rôle de leader facilitateur permet également de maximiser l’intelligence collective. Le directeur devient alors le médiateur de la cellule pour laisser tous les membres présents partager leurs réflexions, leurs points de vue. Il est important dans ce cas que le directeur prenne la parole en dernier lors des tours de table pour que chacun puisse discuter librement sans être influencé par l’opinion du manager. C’est un point clé pour optimiser la méthode de l’intelligence collective dans le cadre d’une cellule de crise.
Enfin, le modèle de leader facilitateur est bien plus efficace aujourd’hui alors que les crises se succèdent. En effet, un incident peut facilement avoir des conséquences sur la réputation de l’entreprise, dans le domaine juridique ou financier. Les polycrises rendent difficile voire impossible une prise de décisions efficiente par une seule et même personne, d’où l’intérêt de la combinaison des membres de la cellule de crise.
L’expertise des membres de la cellule de gestion de crise est certes importante, mais son management est une partie intégrante de sa réussite. La combinaison de l’intelligence collective et du « leader facilitateur » permet donc une résolution de crise efficace en maximisant la réflexion des membres de la cellule. Le directeur de la cellule de crise peut dès lors prendre la meilleure décision grâce à une réflexion collective tout en limitant les biais cognitifs.
Biographie de Robert de Quelen :
Robert de Quelen est le fondateur du cabinet de conseil Liwanag. Spécialisé dans le coaching des dirigeants, des équipes et des organisations, il les accompagne dans leurs transformations et dans les situations sensibles ou complexes. Riche de 25 ans d’expérience opérationnelle dans le management et la communication en France et dans le monde, Robert de Quelen est expert en matière de leadership et d’organisation.
Il est l’auteur de deux livres : Alice au pays des projets, publié en 2017 aux éditions Afnor et Travailler autrement avec l’Intelligence collective, publié en 2021 aux éditions Leduc, collection Alisio.