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Les sociétés humaines et la gestion des risques industriels : d’AZF à Lubrizol

Date 4 décembre 2019
Type Articles

En 2001, à Toulouse, l’usine AZF explose. Vingt-deux employés sont tués, ainsi que huit personnes se trouvant aux abords de l’usine. Le nombre des blessés s’élève à 2 450.

L’histoire des catastrophes industrielles ne commence pas avec AZF et nous gardons tous en mémoire celles de Seveso, Tchernobyl et tant d’autres.

Pourtant, c’est AZF qui se rappelle à nous, quelques semaines après l’incendie des usines Lubrizol et Normandie Logistique. Les similitudes, troublantes, nous poussent à nous demander si nous avons été capables d’apprendre collectivement de nos erreurs pour éviter qu’elles ne se reproduisent.

Pour Lubrizol comme pour AZF, en découvrant les images dans les médias, nous nous sommes trouvés comme étonnés de voir, si près de ces sites, des habitations, des jardins comme autant de preuve de l’activité humaine aux portes du danger.

Ces deux sites ont pourtant été construits à l’écart des villes, assez proche pour que les habitants puissent y travailler et assez loin pour ne pas les mettre en danger. L’urbanisation croissante des deux métropoles, Toulouse et Rouen, ont poussé les habitants à s’installer de plus en plus près des usines, jusqu’à construire leurs maisons sous l’ombre de celles-ci. La transformation de friches d’industrie en équipements collectifs est venue combler ce maillage urbain. La coexistence entre lieux de vie et lieux industriels va-t-elle ou doit-elle être remise en cause ? Ou est-ce à la gestion du risque de s’adapter aux nouveaux modes de vie ? Les premières catastrophes environnementales et industrielles, dans les années 1960-1970, marquent l’émergence d’une « société du risque », soit la volonté de réglementer pour limiter les impacts du risque industriel. C’est à ce moment que s’établissent des bases saines de bonnes pratiques, d’inspections indépendantes, de plans d’urgences. Chaque catastrophe apporte avec elle son lot de réformes, de « plus jamais » et de lois aux noms douloureux (directive Seveso en 1976, loi dite AZF en 2003…). Il est temps de prévoir la crise de demain et non plus de pallier, trop tard, les manques d’hier.

Ces avancées ont bien sûr évité le pire à Lubrizol, fiché Seveso, qui a donc dû, comme tous ces sites, travailler son Plan de Prévention des Risques Technologiques. L’incendie y est clairement identifié comme un risque possible. Ce risque était divisé en 3 scénarios : le premier scénario prévoit un feu extérieur aux entrepôts A4 et A5, les deux autres des feux intérieurs aux entrepôts A4 ou A5. Le 26 septembre les trois scenarios se sont déroulés en même temps et, rapidement, l’eau vient à manquer. Lorsque le feu atteint le hangar 5, les réserves d’eau des sprinklers étaient épuisées.

Des accidents peu probables, mais aux impacts catastrophiques, doivent être pris en compte. L’effectivité de la sécurité, c’est-à-dire son application réelle, en action, doit être travaillée. Le passage entre une sécurité théorique et une sécurité pratique se fait par l’entrainement, la formation et l’information.

Que dire alors de la vague de simplification qui a lieu dans les années 2017-2018 ? Les installations ne sont plus systématiquement astreintes à une étude d’impact, le nombre d’inspection chute, passant de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018. La Loi Essoc, « pour un État au service d’une société de confiance », de 2018, statue qu’un exploitant peut désormais modifier son établissement sans passer par une autorité indépendante. Entre 2016 et 2018, le nombre des accidents industriels augmente de 34%[1].

Pour le cas de Lubrizol, cela donne lieu à un savant mélange de plan lacunaire et de réglementations non respectées : des stockages extérieurs sans systèmes de détection incendie, un mauvais confinement des eaux d’extinctions, des incohérences dans l’inventaire du stock, et autant de manquements qui étaient connus des autorités avant l’incendie. A été annoncé, trop tard puisque post-catastrophe, que Lubrizol et Normandie Logistique avaient un mois pour se conformer aux règles de sécurité, sous peine de poursuites devant le tribunal administratif de Rouen.

Comment expliquer également le retard dangereux de la France en matière de système d’alerte à la population ?

En Belgique et aux Royaume-Uni, une alerte à la population multicanaux est déjà mise en place. Elle associe le porte-à-porte, les haut-parleurs et systèmes d’alerte que nous connaissons, les médias traditionnels, les médias sociaux et le cell broadcasting. Le préfet est revenu sur ce retard français : «Il faut que nous arrivions maintenant (…) à toucher l’usager chez lui. (…) Le ministère de l’Intérieur (…) va nous imposer un système de diffusion par les pylônes téléphoniques d’envoi de messages personnalisés sur tous les téléphones portables », système qui était déjà mis en place au Petit-Quevilly, où les habitants ont été alertés par sms à 6h11, mais pas à l’échelle de la région.

En Belgique
Au Royaume-Uni

Dix-huit ans après AZF, qu’en est-il de la communication de crise ?

En 2001, Total a appris des erreurs commises lors du naufrage de l’Erika, et change sa stratégie de communication : empathie, aide aux victimes, aux secours et aux employés, transparence, aucune volonté affichée de se défausser… Les employés du groupe vont même sur place pour manifester leur soutien à l’entreprise.

Lubrizol de son côté semble avoir peu appris : stratégie du bouc émissaire, mauvaise communication en interne, pas d’empathie, bunkerisation

D’AZF à Lubrizol, nous pouvons désormais poser le constat selon lequel les avancées en matière de gestion de crise ne suivent pas une ligne droite. Il est temps de repenser collectivement à la gestion de crise pour se rapprocher un peu plus sûrement de ce qu’Ulrich Beck qualifiait de « promesse démesurée », celle d’un État qui veut éradiquer le risque.