Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
« D’abord, ce fut un long parcours (quarante-six ans), puisque je suis un tout jeune retraité. Tout a commencé en 1979 quand je suis entré dans la police. J’y suis resté dix ans, cinq ans en police judiciaire et cinq ans aux Renseignements généraux, le tout à Paris. Puis, j’ai quitté la police, au début des années 90, pour aller dans le privé. Non pas que le métier de policier me déplaisait, mais j’avais besoin d’autre chose. La police est ma première famille, fils de flic, frère de flic, même après mon départ, je suis resté connecté et j’ai toujours eu beaucoup de respect pour tous mes anciens collègues courageux qui font un métier fantastique et ô combien difficile.
Comme je souhaitais changer d’horizon, le privé m’offrait ainsi plus d’espace. Je voulais construire une carrière au mérite et non pas à l’avancement, travailler dans des environnements et dans des milieux différents et découvrir d’autres cultures, d’autres pays.
Ainsi, en 1991, je suis entré chez Disneyland Paris, en tant que manager sécurité, un peu avant l’ouverture du parc. La première entreprise dans laquelle j’ai travaillé était donc américaine. C’est là que tout a commencé, j’ai découvert des domaines que je ne connaissais pas du tout tels que les budgets, les ressources humaines, le casse-tête des plannings, la diversité des missions… C’est là que j’ai été pris de passion pour le management.
Et depuis, j’ai beaucoup bougé ; entre Disney en 1991 et ma fin de carrière avec Carrefour en 2024, j’ai exercé des fonctions de directeur sécurité dans 10 sociétés et j’ai eu la chance de travailler dans 6 pays différents.
Mon parcours dans la police a grandement crédibilisé mon arrivée dans le domaine de la sécurité dans le privé. C’est un gage de confiance pour des employeurs qui se disent : « C’est un ancien policier, il connaît les règles, on peut compter sur lui en matière d’éthique, de respect des process, etc. ».
Qu’est-ce qui vous a surpris quand vous êtes arrivé dans le privé par rapport à votre métier de policier et à l’inverse, qu’est-ce qui a été transposable de votre métier de policier à votre carrière dans le privé ?
« Rien ne m’a vraiment surpris. L’une des qualités du policier, c’est son adaptabilité à son environnement. Et puis, je ne suis pas resté assez longtemps pour avoir des habitudes. J’avais déjà la bougeotte et j’ai fait plusieurs services. J’ai fait du commissariat de quartier, de la protection rapprochée, du renseignement et donc rentrer dans le privé était une nouvelle expérience comme les autres.
Il a fallu que je m’adapte au changement de cadre : dans la police, on travaille pour le bien de tous alors que dans le privé, on travaille pour le seul intérêt de l’entreprise qui nous emploie. C’était nouveau pour moi, mais ça m’a très rapidement convenu.
Quand on arrive de la police pour faire de la sécurité dans le privé, les prérogatives ne sont plus du tout les mêmes. On fait de la sécurité en tant que citoyen « lambda », on n’a plus les mêmes pouvoirs que nous octroie le droit. Il faut inscrire notre action dans le strict cadre de ce que nous autorise la loi et la déontologie, et ça marche. »
Tout au long de votre carrière, quels ont été les périmètres des postes que vous avez occupés jusqu’au Groupe Carrefour ?
« J’ai eu beaucoup de chance parce que les trois quarts des postes que j’ai occupés étaient des créations de poste. J’ai pu en construire les contours. Mais, je dirais évidemment que la sécurité et tout ce qu’on y met dedans était mon périmètre.
J’ai eu des postes très étriqués ne couvrant que de la sureté et la gestion des gardes et d’autres beaucoup plus existants avec la sûreté, la sécurité, la conformité, les enquêtes internes, les risques, la gestion de crise, les projets techniques, les relations gouvernementales, la gestion des services annexes (entretien, maintenance), etc. En fait, tout va dépendre de votre appétit managérial et de la confiance de vos pairs.
Dans la plupart des postes que j’ai occupés, j’ai reporté au CEO ou à un membre du COMEX influent. La ligne de reporting hiérarchique donne du volume à votre poste. Elle vous permet de faire évoluer ce périmètre. Si on est au fin fond d’un organigramme, peu de chance de faire bouger les choses. J’ai, pour la plupart du temps, exercé des fonctions très opérationnelles avec un engagement managérial très fort sur des problématiques d’organisation et d’optimisation pas seulement limitées à la sécurité, mais aussi en élargissant ces périmètres à des fonctions de contrôle et d’organisation.
Et puis, j’ai occupé aussi d’autres fonctions plus institutionnelles, moins « terrain ».
Dans une fonction institutionnelle, on est le trait d’union entre les opérations et les exécutifs. Les opérations de sécurité sont gérées par les directeurs de chaque pays. C’est un rôle d’animation et de support d’équipes. Dans les opérations en pays ou en BU, on est souvent seul et c’est important d’avoir ,au niveau Corporate, quelqu’un qui peut être en appui, avec qui on peut échanger. C’est un rôle d’accompagnement au changement aussi pour des managers de terrain autour des grands enjeux stratégiques, de transformation et d’optimisation. Il y a aussi un volet de veille, de respect de nos règles de conformité et d’éthique, s’assurant que les opérations sont en ordre et que les bases du métier sont maîtrisées.
Mon rôle était justement d’identifier toutes ces spécificités réglementaires et de s’assurer que l’on reste dans « les clous ».
Dans notre périmètre, il y a souvent la gestion de crise et, du coup, la coordination de la crise au niveau groupe est beaucoup plus agile et efficace parce que les professionnels se connaissent bien ».
À propos de la gestion de crise au sein du Groupe Carrefour, au sein de votre dernier poste, le volet gestion de crise est confié au département de la sûreté. Pourquoi cette délégation de compétence ? Quelles étaient à votre avis les compétences que vous et votre équipe aviez, qui pouvait justifier ce choix ?
« En fait, ça n’a pas été toujours le cas : pour répondre à cette question, il faut remonter un peu dans le temps. Pendant la crise du COVID, le Groupe Carrefour a fait preuve d’une formidable réactivité. On a fait collectivement preuve de beaucoup de créativité, de résilience et on s’est mis en marche comme un seul homme. Toutes les équipes Carrefour se sont engagées à fond, sans aucune résistance, ni panique. Toutes les fonctions opérationnelles et supports ont travaillé ensemble pour faire face.
La crise passée, sous l’impulsion du patron de l’Audit Groupe, on a fait réaliser un RETEX par EH&A pour identifier nos points forts et nos axes d’améliorations.
Sans surprise, face à de cette crise, on s’est rendu compte qu’on était capable de mobiliser nos équipes très vite et très bien, qu’on savait travailler ensemble et sous stress, mais que les process organisationnels n’étaient pas clairement figés, ni décrits et que malgré l’agilité de notre mise en place et de nos réactions, il nous manquait un peu de formalisme et de cadre.
Il a donc été décidé d’apporter plus d’attention à la préparation à la crise. Alors, pourquoi cette tâche a été confié à la sécurité ? Je pense que la plupart des crises ont une origine opérationnelle dont les impacts sur les personnes et les biens sont souvent du ressort de la sécurité. Donc on sera les premiers dans beaucoup de cas à intervenir.
Je pense qu’il a des qualités intrinsèques à notre fonction qui appuient ce choix :
- Tout d’abord, la réactivité. On est un service disponible H24 où que l’on se trouve dans la chaîne de commandement.
- La deuxième, c’est la stabilité des missions et du management. La sûreté n’est pas un département qu’un groupe transforme toutes les cinq minutes. Il y a une forme de pérennité et de stabilité dans les équipes et le management.
- La troisième, je dirais que c’est une forme de tranquillité. Face à un événement, on est plutôt calme, pragmatique, on n’est pas dans l’agitation. On a tendance à garder une distance et un recul assez froid vis-à-vis des situations.
- Enfin, il y a l’efficacité. Face à une crise, on sait s’organiser au niveau du groupe. On sait aussi rédiger des procédures, les partager et on sait les faire respecter.
Ainsi, on nous demande de mettre en place une procédure de gestion de crise, qui est à la fois importante pour le groupe, mais aussi pour tous les pays et les directeurs sécurité demandeurs de cadres, face aux risques de répétitions de crises.
Pour ce faire, j’ai créé un groupe de travail avec mes pairs (directions risque/audit, cyber, et les directeurs sécurité etc.) avec qui j’échange sur un ensemble de procédures/référentiels de gestion de crise. La structure du document a été revue et amendée mille fois. Il y a eu un gros travail de formulation pour que chacun sache de quoi nous parlons.
Avec le département Risques et Audit, on a mis en place le Comité des Risques groupe. Organe de gouvernance sur les risques à qui j’ai présenté une version du document de procédure de gestion de crise. Une fois le tout validé, on a commencé à mettre en place des formations et le déploiement.
Cette procédure n’est pas un exercice qu’on pouvait faire seul, on avait besoin de toute la communauté pouvant être confrontée à une crise pour la construire.
Tout au long de votre parcours, vous avez eu à gérer de nombreuses crises. Quel serait votre meilleur et pire souvenir en crise ?
« Il n’y a pas vraiment de beaux souvenirs en matière de gestion de crise, on a juste des sentiments « d’après » partagés entre la satisfaction de s’en être sorti et la reconnaissance de nos limites.
La crise covid a été riche en enseignements et en tensions. Typique d’une crise exogène, elle nous a tous pris de court. Elle n’impactait pas que notre entreprise, mais toutes les entreprises. Ce mal, dont on ne savait rien, nous exposait dans notre chair et dans notre humanité, car il pouvait toucher non seulement nos salariés, mais aussi nos amis, nos familles.
C’était une crise dont on était à la fois acteurs et témoins ; décideurs et suiveurs, tout ça fluctuant sous des injonctions réglementaires parfois contradictoires et farfelues.
Dans nos métiers, nos équipes, par nature sont à la fois résilientes et pragmatiques. On a su s’adapter et faire face. On a partagé avec tous les pays du groupe, tout ce qui se mettait en place dans un pays donné, pour l’anticiper et le déployer quand ça faisait du sens dans les autres pays. Ça nous a fait gagner du temps partout. L’échange, le partage d’expérience, la coordination et la créativité ont été les clefs du maintien de nos opérations.
À la fin, on a eu plein de choses à corriger et à mettre à jour évidemment, mais on a tenu bon et ça nous a enrichi. »
Pensez-vous que les récurrentes crises de réputation sur les réseaux sociaux viennent « atténuer » le sentiment d’être en crise lorsque surgit une vraie crise opérationnelle ?
Je dirais qu’aujourd’hui, on est très réactif en crise opérationnelle. Nous ne sommes bien sûr pas à l’abri d’un problème, mais nous avons la capacité de le rectifier rapidement.
Le risque, aujourd’hui, n’est plus trop dans la gestion l’opérationnelle de la crise, parce que même bien géré et circonscrit, un problème pourra toujours trouver écho auprès d’opportunistes influenceurs pour amplifier la crise, à travers les fakes news, la désinformation ou autre. En cela, les réseaux sociaux sont une forme d’amplificateur difficile à contrer.
C’est pour ça que je pense que la communication de crise est extrêmement importante. Au fil des crises, la communication est l’acteur clef de gestion de crise. Parce que c’est une matière fluctuante, difficile à maîtriser. Elle doit être professionnalisée et être polymorphe. Elle doit rester factuelle, compassionnelle, bienveillante et dans l’action.
Quels seraient vos conseils principaux pour une bonne gestion de crise ?
« Tout d’abord, je dirais que, pour un service de sécurité qui fait de la gestion de crise, il faut être prêt à ce que tout puisse arriver. La crise est toujours un défi inattendu, on n’est jamais vraiment prêt à tout. Il faut veiller à l’opérationnalité des systèmes, c’est-à-dire que tout ce qu’on a mis en place ne soit pas uniquement en mode veille, mais qu’il démarre sans raté quand on l’actionnera. Vérifier sur une check-list que si une cellule de crise est mise en place, c’est bien, s’assurer que les membres de la cellule de crise aient été formés et sachent quoi faire, c’est mieux.
Contrairement à ce qu’on pense généralement, c’est grâce à un cadre précis qu’on peut être agile et flexible. La procédure, c’est le cadre dont on a besoin et qui rassure au début, mais les solutions sont parfois hors du cadre. Mais pour sortir du cadre, encore faut-il le connaître.