Résumé de la première partie :
Le mois dernier nous vous expliquions comment agir, et comment réagir à une procédure du Department of justice. Dans cette seconde partie, nous vous présenterons les conséquences sur les groupes visés : de l’impact sur la réputation jusqu’à la perte de business.
Comment ça se passe ?
Le Foreign Corrupt Practices Act consacre la compétence des tribunaux américains, même si les opérateurs économiques visés semblent très éloignés des États-Unis. La position américaine de « gendarme du monde » clamée par certaines administrations (plus nuancée à partir du mandat de Barack Obama) prend ici tout son sens.
Or les procès peuvent être longs avec des conséquences désastreuses (jusqu’à la disparition de la société) et l’impact financier dissuasif. Les entreprises vont donc généralement tout faire pour l’éviter en se tournant vers des deals. Il y a donc 3 types d’accord :
- Le Guilty Plea : La société reconnait sa culpabilité, elle ne peut dès lors plus concourir aux marchés publics. C’est souvent lorsque l’entreprise n’a pas coopéré que le Guilty Plea est proposé. Une fois encore, il s’agit ici de collaborer pleinement ; le DoJ peut estimer que la société a fait preuve de mauvaise foi en dissimulant des informations. Les amendes sont dans ce cas très lourdes. Comme ce sera le cas dans tous les accords, les autorités états-uniennes communiqueront publiquement l’accord en question.
- Deferred Prosecution Agreements (DPA) : Dans ce cas, le DoJ constate, si ce n’est l’inexistence d’un système anti-corruption interne, sa défectuosité. Les sanctions sont dès lors plus sévères. L’entreprise doit alors subir une « rehab », une cure de réhabilitation. Elle devra ouvrir ses portes à un monitor, contrôlant les mesures de prévention mises en place pour une durée allant jusqu’à trois ans. En cas de mauvaise exécution de l’accord, la société peut être sévèrement sanctionnée.
- Non Prosecution Agreement (NPA) : Dans cet accord les autorités américaines vont prendre en compte les différents systèmes de contrôle et de préventions, qui s’ils étaient efficaces, ont été contournés par des individus. Si le DoJ ne constate pas une corruption institutionnalisée, il sera enclin à se tourner vers le NPA. L’entreprise signe alors un « statement of facts » écrit par le Department of Justice. La société peut, néanmoins, ne pas être d’accord avec ce récit des faits (ce qui est souvent le cas). Il lui est cependant interdit de contester les faits en public, elle doit d’ailleurs faire une déclaration où elle explique que tout sera fait pour que ce type d’infraction ne se reproduise plus.
Les conséquences
Financières
10 milliards pour la BNP, 800 millions pour Siemens, il n’est pas rare que les amendes américaines atteignent des sommes vertigineuses. Les conséquences d’une sanction ou d’un simple accord, comme nous l’expliquions précédemment, se tournent très souvent vers là où cela fait mal : le porte-monnaie des groupes. Il est difficile d’imaginer que les dividendes des actionnaires ne soient pas touchés par des amendes record comme celle de la BNP. Si ce n’est pas le cas, il est tout de même légitime d’imaginer l’inquiétude et la perte de confiance des actionnaires qui découlent d’une telle situation. Ces amendes auront une répercussion directe sur les résultats annuels. Et même si ces dernières ne sont pas si importantes, les dépenses liées aux frais d’avocats auront de quoi faire frémir plusieurs directeurs financiers.Le but des autorités américaines – du moins celui affiché – est de décourager toute organisation de suivre le mauvais exemple. Le « Name & Shame », cher aux anglo-saxons prend ici toute sa force.
Souveraineté des entreprises
S’il fallait résumer en un mot, les pratiques de l’extraterritorialité de la loi américaine et du FCPA, ce serait sans doute « intrusif ». C’est d’ailleurs ce que pointait le rapport intitulé « L’extraterritorialité de la législation américaine » de l’assemblée nationale publié en 2016.
On peut citer alors la procédure de « discovery » (obligation de fournir de très nombreux documents), l’obligation de coopération immédiate et sans réserve avec la justice, sans compter les obligations de mettre en place des programmes de compliance, de protection des lanceurs d’alerte. Pire, l’entreprise peut être dans l’obligation d’ouvrir ses portes à un contrôleur (moniteur) qui vérifie pour une durée variable les mesures de prévention mises en place. Ce contrôleur pourrait dès lors avoir un droit de regard sur la stratégie des groupes comme ce fut le cas pour Siemens, soumis à un contrôleur interne désigné par la justice américaine après sa condamnation en 2008. « On l’a dit, l’ensemble des services de renseignement américains sont depuis longtemps et très officiellement mobilisés pour l’application des lois extraterritoriales telles que la loi FCPA ou les sanctions économiques » expliquait ce même rapport de l’assemblée nationale. Une manière de soulever une question fatidique sur une possible dimension d’intelligence économique américaine à travers cet arsenal de guerre économique. Cette étape de monitoring est très contraignante, des documents stratégiques peuvent être demandés laissant redouter qu’ils soient transmis à la concurrence.
Est-ce que le FCPA est une arme d’américanisation massive ? Il n’y a pas assez de preuves pour l’affirmer réellement, même si quelques temps après, les procédures Technip (devenu Technip-FMC) ou l’activité énergie d’Alstom (par General Electric) sont passées sous contrôle américain. Ce qui est certain, c’est que ces évènements fragilisent grandement les groupes et donnent une opportunité à la concurrence de prendre position dans leur rachat. À condition, tout de même, que les menaces futures sur l’organisation soient « contrôlables ».
Les politiques français se sont saisis de la question. Jean-Luc Mélenchon expliquait, dans l’émission le grand Jury sur RTL, que les Américains étaient en train de prendre le contrôle d’Airbus. Même son de cloche pour les députés les Républicains qui, citant les affaires Alcatel et STX France, voulaient démontrer le passage de fleurons de l’industrie française aux mains des États-Unis. Les juridictions françaises n’acceptent pas le principe d’extraterritorialité des lois américaines mais les groupes semblent plus effrayés par la justice américaine que française. La crainte de l’implication du DoJ est telle, que certains font même le choix de se dénoncer devant d’autres autorités, comme le SFO au Royaume-Uni à travers le UK Bribey Act. Un choix qui permettrait d’éviter les procédures auprès du Department of justice. On préfère toujours payer chez soi qu’ailleurs…
La souveraineté des entreprises peut donc vaciller. Sur cette question, Il y a une prise de conscience en France de la société civile à travers les médias et les Think Tanks jusqu’aux politiques. Le constat est simple : la France doit pouvoir répondre aux FCPA pour, à défaut d’être aussi puissante, permettre à ses entreprises de se défendre dans leur pays d’origine.
Contre-publicité, casier médiatique, réputation
Les sanctions connexes peuvent elles aussi être désastreuses. Certains spécialistes laissent à penser qu’une entreprise ciblée par une procédure du DoJ peut en sortir plus forte, sans polluer sa réputation. À l’heure du monde 2.0 et de la dictature de la transparence, il est impensable que la réputation du groupe ne soit pas écorchée. L’écho dans la presse peut être déjà considéré comme une condamnation indirecte puisque le « casier médiatique » de la société sera entaché. On en revient au « Name and Shame ». Les conséquences peuvent être terribles : fuite des clients, de cerveau, annulation de contrats, appels au Boycott… Lorsque les autorités américaines s’appuient sur un lanceur d’alerte, l’impact à la réputation peut être d’autant plus puissant. La parole des employés est toujours très écoutée et leur témoignage d’autant plus médiatisé.
Dans la plupart des cas, c’est le Department of Justice qui est le maitre de la communication. Une fois un accord passé avec les autorités américaines, l’entreprise est interdite de commenter la décision, de s’en émanciper et encore moins de la critiquer. Poings liés donc mais pas sans solution. Il est essentiel de porter son message et « prêcher pour sa paroisse ». Une stratégie d’alliés, pour répandre son message à ses clients, ses partenaires importants au cours de rencontres en présentiel semble inévitable. Une nouvelle fois et comme dans la majorité des procédures de la sorte, le planning juridique et communicationnel se chevauche, avec des intérêts propres et parfois antagonistes. Dans la cinétique de la crise, le temps judiciaire est lent (très lent), celui de la communication beaucoup plus immédiat. La gestion de crise est alors réussie lorsque les deux s’accordent et trouvent un consensus.
Il est encore difficile de parler d’Arme d’Américanisation massive. La corrélation entre condamnations et prises de contrôle américaines reste difficile à prouver. La loi Sapin II vient tenter de combler l’écart de puissance avec les autorités américaines, même si, comme le disait Bruno Le Maire, « ce n’est pas suffisant ». Les sociétés françaises semblent tout de même se tourner vers la compliance et la mise en conformité d’abord parce que c’est un enjeu économique.
En revanche sont-elles réellement prêtes à vivre une telle procédure ? Réalisent-elles que de simples accusations les plongent dans une situation de crise ? Les conséquences financières, juridiques, les sanctions connexes (contre-publicité, casier médiatique…), les menaces sur le business et la fuite des clients sont des risques tels, qu’ils doivent être préparés. Et comme dans toute situation de crise, l’important, c’est d’avoir un coup d’avance.
Sources :
Henri Gibier, Karl De Meyer et Lucie Robequain, 6 scandales européens soulevés par les Américains, [en ligne]
Bruna Basini, Frédéric Perucci, « Le « cadre maudit d’Alstom », condamné à 30 mois de prise aux Etats-Unis », Europe1 [en ligne], 26 septembre 2017.
Philippe Coste, Julie Joly, Vincent Nouzille, Pierre-Alban Pillet, « La chute de la maison Andersen », L’Express [en ligne], 28 mars 2002.
Dominique Galloishttp, « Ted Maye, conseil d’Airbus : « Les avocats américains ne sont pas liés à leur gouvernement », Le Monde [en ligne], 1er janvier 2017.