Adoptée le 28 novembre 2022, la directive place les entreprises européennes en chef de file des problématiques RSE. Une responsabilité supplémentaire mais qui peut également leur permettre de se différencier par leur exemplarité.
D’abord conscrit à la « soft law», le devoir de vigilance est entré dans la loi en France en 2017 et entre aujourd’hui dans les textes européens. TotalEnergies, Suez, Lafarge le savent bien : le tribunal qui juge les entreprises est d’abord médiatique. Dans ce procès, pas d’avocat ni de juge. La présomption d’innocence est rarement de rigueur. Accusations vraies ou fausses, il est toujours difficile de reblanchir son image une fois que celle-ci a été traînée dans la boue. Depuis décembre 2022, la législation européenne a évolué et permet d’amener le procès médiatique sur le terrain judiciaire. Avec un accueil positif quasi unanime lors de sa présentation au Parlement européen, la nouvelle directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises entre en vigueur. Elle s’applique aux entreprises européennes et étrangères qui opèrent en Europe. La loi vient avec une portée extraterritoriale : elle s’applique non seulement aux entreprises européennes mais aussi à ses fournisseurs, et autant que faire se peut, aux fournisseurs de ses fournisseurs. Objectif de la loi ? Prendre en compte l’ensemble de la chaîne de valeur et permettre une homogénéisation des bonnes pratiques.
Un durcissement de la loi française
Concrètement, les entreprises devront identifier, traiter et rendre compte des risques environnementaux et sociaux que présentent leur modèle économique et leurs activités. Cela permettra d’établir des règles égales en matière de concurrence, au moins au niveau européen, et d’offrir une plus grande transparence vis-à-vis des consommateurs. Si la loi française était déjà solide en la matière, la directive européenne va plus loin et est plus contraignante. Non seulement le nombre d’entreprises concernées est plus élevé, mais il s’applique à l’ensemble des relations de l’entreprise et pas uniquement aux filiales et aux sous-traitants. Dans le viseur de la directive, trois secteurs : l’industrie textile, l’industrie extractive et l’agriculture. Le choix n’est pas anodin. Les entreprises du secteur extractif et textile sont régulièrement mises en cause par les ONG et se retrouvent tout aussi régulièrement en gros titres des journaux. La directive pourrait alors toucher 13 000 entreprises européennes et 4 000 entreprises étrangères. Si les PME ne rentrent pas dans le cadre de la loi au sens strict, elles seront tout de même affectées en tant que partenaires des entreprises concernées.
Des coûts, des risques et une opportunité
Concrètement, les mesures à prendre sont inéluctablement synonymes de coûts directs pour l’entreprise, dans le cadre de la création de services dédiés ou de formation. Le nonrespect de ces nouvelles règles s’accompagnera d’amendes infligées par les autorités administratives nationales désignées par les États membres. Leurs modalités restent encore à déterminer. Cependant, en se calquant sur la législation française, on peut s’attendre à un montant pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise, selon la gravité. De plus, si la directive va permettre une harmonisation de la législation au niveau européen et un lissage en matière de concurrence au sein du marché unique, c’est l’ensemble des entreprises européennes qui sera soumis à des distorsions de marché en matière de concurrence, sur les marchés asiatiques et africains notamment. En effet, les entreprises étrangères, turques et indiennes, pour ne citer qu’elles, ne s’encombrent pas des mêmes considérations. Au motif du respect de la directive, certains appels d’offres ne seront plus envisageables pour les vertueuses entreprises européennes.
L’opportunité de la vertu
D’un autre côté, devenir irréprochable au sens de cette directive est une opportunité. En travaillant sur leurs obligations et engagements sociaux, les entreprises européennes se donnent la possibilité de faire de cette différence un facteur de préférence. Et c’est déjà le cas dans d’autres domaines. À titre d’exemple, les engagements de l’Union européenne concernant la protection des données font des entreprises issues du marché unique des partenaires dignes de confiance. Au sein des marchés émergents, les entreprises européennes bénéficient alors d’un avantage concurrentiel notable par rapport à la Chine, les États-Unis, la Russie, l’Inde ou la Turquie.
S’engager, oui, baisser la garde, non
Être vertueux aux yeux de la loi n’est malheureusement pas suffisant. Une entreprise aujourd’hui « irréprochable », ne l’a peut-être pas toujours été. Il lui faudra gérer son historique. Changements de gouvernance et évolutions de pratiques n’effacent malheureusement le passé. C’est justement lorsque le robinet est coupé à ceux qui profitaient d’un fonctionnement « à l’ancienne » qu’elles peuvent ressurgir. De plus, certaines entreprises étrangères n’hésiteront pas à utiliser la loi afin de fragiliser les positions de leurs concurrents européens. Les combines, qui allient lanceur d’alerte pas si impartial, très bien payé, et ONG, bras armé d’un gouvernement, étaient déjà monnaie courante, et le resteront. En d’autres termes, l’ombre de la crise plane toujours. Il est important pour les entreprises de comprendre leur environnement et les risques liés, pas seulement financier, mais sociaux, culturels et économiques. Sur les sujets les plus sensibles, il faut que les entreprises adoptent une position franche, aient la capacité de l’expliquer et de présenter les mesures prises pour faire face à ces sujets.
Cinq grandes obligations
- Recenser les incidences potentielles négatives de leur activité puis mettre en place les mesures nécessaires pour atténuer ces mêmes incidences
- Publier annuellement un rapport public faisant état en toute transparence du respect des obligations de vigilance des entreprises
- Mettre en place une procédure d’alerte accessible par l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement
- Indiquer leurs engagements de réduction des émissions de CO2, pour les entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros
- Délai d’exécution : 27 novembre 2025, soit trois ans après l’entrée en vigueur de la directive.
Points d’attention
- Qui pourra saisir les tribunaux ? La directive européenne ne le précise pas, il faudra attendre la transposition en droit national pour savoir si une victime, une organisation de la société civile, un syndicat ou une autre personne morale pourra introduire un recours au nom de la victime
- Investiguer sa chaîne de valeur, surtout si elle est très diluée. Le fait générateur incriminant peut souvent venir d’un fournisseur de rang trois ou deux