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Rencontre insolite avec Matthieu Langlois, médecin du RAID pendant le Bataclan

Date 29 November 2024
Type Articles

Qui est Matthieu Langlois ?

« Mathieu Langlois, je suis médecin anesthésiste-réanimateur, avec un parcours assez atypique. En effet, ce qui m’a toujours intéressé, ce sont les liens humains dans des situations stressantes. C’est probablement pour cela que j’ai choisi cette spécialité.

J’ai fait beaucoup d’urgences en dehors de l’hôpital, et ce dans toutes les formes de secours qu’on puisse connaître : pompiers, SAMU, secours en montagne… Et en parallèle, je pratiquais toujours beaucoup de sport. J’ai toujours été à la recherche d’outils qui permettent à un collectif d’être performant, c’est-à-dire d’être agile, dans des situations complexes.

Je suis ensuite entré au RAID (L’unité de Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion de la police nationale) où j’ai travaillé pendant près de quinze ans. J’ai été médecin chef pendant huit ou neuf ans, et en particulier durant la période qui s’étend de 2012 à 2020, période où la France a été confrontée à de nombreux attentats.

Après tout ça, j’ai eu l’envie de transposer mon expérience, ce qui m’a conduit à me rapprocher d’un groupe de travail de l’ESSEC, afin de comprendre ce qui, justement dans l’entreprise, était transposable ou non. Quelles étaient les différences majeures entre différents types d’organisation ? Qu’est-ce que la notion de crise voulait réellement dire ? Parce qu’évidemment que la crise au RAID, ce n’est pas la même chose que la crise chez Danone. »

Anticiper sans s’enfermer dans les scénarios :

« L’évènement le plus marquant de mon expérience a clairement été le Bataclan. En tout cas, pour la partie secours, qui était mon rôle. Après 2012 et l’affaire Merah, nous avions anticipé ce que pouvait être un « attentat de masse ». Mais anticiper, ne signifie pas tout prévoir. Par exemple, le soir du Bataclan, dès que le téléphone sonnait, je me disais : « Je ne sais pas ce qui nous attend mais je sais que nous sommes parfaitement prêts. 

 Il ne s’agit pas d’avoir un plan parfait, mais de visualiser des situations possibles, d’imaginer l’imprévisible et de se préparer à l’inconnu. C’est cette agilité qui permet à un collectif d’être performant face à des situations extrêmes.

Et pour moi la bonne confiance c’est ça, c’est-à-dire, oui, on a travaillé, on a fait tout ce qu’on avait à faire pour être prêt, mais, avec aucune certitude. Et surtout pas celle de penser qu’on va dérouler un plan qui va permettre de répondre parfaitement à la situation… mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas de plan.

D’ailleurs, au sein d’une entreprise, il faut veiller à bien faire la distinction entre les niveaux d’organisation : stratégique, tactique et opérationnel. Je suis inquiet des opérationnels qui ne jurent que par l’exécution de leurs fiches réflexes et qui s’enferment dans leurs procédures. Les niveaux tactiques et stratégiques ont besoin d’avoir une vision qui repose sur une planification. Pour moi, il y a une réelle différence entre un plan et une planification.

 J’ai, par exemple, eu l’occasion d’observer plusieurs organisations, et les systèmes qui sont réellement agiles sur le plan opérationnel ont une autre exigence. Il leur faut un management adapté avec des garde-fous, parce que sinon, le système court à sa perte. Et cette organisation est hyper importante. Par exemple, pendant la crise COVID, le stratégique (le gouvernement) a expliqué à l’opérationnel (le personnel soignant) comment il fallait soigner, mais à l’inverse, il y avait des médecins qui expliquaient au gouvernement comment il fallait faire des choix économiques etc. Et cette confusion et ce non-respect des trois niveaux de commandement, c’est la meilleure façon d’aller dans la mauvaise direction dans le pilotage de crise. En gestion de crise, il faut avoir les bonnes personnes au bon endroit et que chacun connaisse les bonnes procédures. »

Les qualités d’un manager de crise :

« Ceux qui performent en gestion de crise ont globalement le même profil : ce sont des personnes qui possèdent une réelle capacité d’écoute. Il faut quelqu’un qui comprenne qu’il est là pour une fonction et non pas pour un statut. La force du RAID, c’est chercher des personnes sur du savoir-être, plus que sur du savoir-faire.  Et idem, quand j’étais médecin, je recrutais davantage sur le savoir-être. J’avais évidemment besoin d’avoir des garanties en termes de compétences techniques, mais je n’en avais jamais la preuve totale.

Le problème se pose si toute l’organisation de la gestion de crise repose sur une seule personne. C’est le meilleur moyen d’avoir des ratés, parce que si un jour cette personne n’est pas disponible, c’est toute l’organisation qui prend l’eau. »

Tendre vers un collectif “antifragile” :

« Ce que je raconte quand je parle du Bataclan, c’est le modèle Antifragile de Nassim Nicholas Taleb. C’est-à-dire qu’un bon collectif dans le pilotage de crise, est un collectif qui se transforme.Et cette transformation Antifragile, s’oppose à fragile : lorsque le groupe explose à la moindre contrainte. Mais Antifragile s’oppose aussi à résistant. Et surtout dans des grands groupes, qui se croient solides parce qu’ils ont des cellules de crise prêtes à agir. Sauf que sur les 3 scénarios anticipés, c’est le 4ème qui se produit, et tout le monde panique.

Et donc une organisation Antifragile, c’est celle qui comprend que la situation dépasse ce qu’elle avait anticipé et est capable de se transformer. Et c’est exactement un résumé du Bataclan. En fait les deux choses qu’il faut éviter, c’est : « Je suis sûr de mes forces, il ne peut rien m’arriver », ça c’est faux, et à l’inverse, être dans le déni ou dans la sidération. »

Le leadership, une question d’attitude :

« Pour moi, ce qui compte vraiment, c’est de rester humble et ancré dans le réel, peu importe les responsabilités qu’on peut avoir. Ce n’est pas en se prenant au sérieux qu’on devient un bon leader. Les meilleurs que j’ai rencontrés sont sérieux dans leur travail, et exigeants, mais ne se prennent pas au sérieux. En France, on a cette tendance à valoriser les statuts et à considérer que quelqu’un de haut placé doit tout savoir – que ce soit en management, en technique ou autre. C’est absurde !

À l’inverse, ce que j’admire dans l’approche anglo-saxonne, c’est cette idée qu’un bon leader se mesure à sa capacité à faire progresser son équipe, à former des successeurs encore meilleurs que lui. Un jour, j’étais assis à côté d’un général des forces spéciales américaines. Et au cours de la discussion,il m’avait dit : « Moi, mon seul but dans la vie, c’est d’avoir un jeune qui est plus fort que moi. Ça, pour moi, c’est un vrai signe de réussite. » C’est très révélateur.»

La crise comme opportunité :

«Et c’est là que la gestion de crise est éclairante : elle révèle tout, les forces comme les faiblesses, que ce soit dans le management ou dans les processus. Une crise, ce n’est pas juste un accident à gérer de temps en temps, c’est une opportunité d’optimiser une organisation et de renforcer sa résilience. Le vrai enjeu est d’allier l’ordinaire à la crise puisque la crise n’est plus un phénomène paroxysmique. Il n’y a pas de ruptures entre l’ordinaire et un mode de fonctionnement dégradé. Mais je pense que si on arrive à montrer à l’entreprise qu’il ne faut pas voir la crise comme un accident, mais comme un mode parallèle de vie de l’entreprise qui permet à la fois de gagner, à la fois de valider des acquis, et à la fois de faire changer des choses, là, le retour sur l’investissement, sera bien plus fort !

Mais, tout se joue sur l’humain. C’est l’humain qui crée les problèmes, mais c’est aussi lui qui les résout. Il faut juste arrêter de voir la crise comme une catastrophe à éviter à tout prix et plutôt l’intégrer dans le fonctionnement normal, comme un outil de transformation et d’adaptation. »

Des exercices pour cultiver l’incertitude :

« Les exercices et simulations sont pour moi indispensables dans la préparation à la gestion de crise, mais ils doivent être conçus pour introduire de l’incertitude. Si un entraînement devient une routine, il perd tout son sens. L’objectif d’un exercice, c’est aussi d’accepter de se planter pour mieux apprendre. C’est un cycle : on se prépare en amont, on s’adapte en temps réel, on prend les coups, et ensuite on améliore les process en réintégrant ces apprentissages dans de nouveaux entraînements.

La clé de ce cycle, c’est l’exigence, parce qu’elle nourrit la confiance. Si on est exigeant envers soi-même et envers le collectif, on bâtit cette confiance mutuelle qui est essentielle dans une situation de crise. Mais cette confiance ne se décrète pas, elle se construit dans l’action et dans le respect des rôles de chacun.

Enfin, je crois au leadership authentique, celui qui passe par l’attitude plus que par le statut. À 80 %, c’est du non-verbal : le regard, la posture, les décisions sous pression. Le leader doit inspirer la confiance, pas l’imposer. C’est ça qui responsabilise l’équipe et permet à chacun de se dépasser dans des moments critiques. Et pour moi, déléguer, c’est un acte de confiance. Plus la crise est intense, plus il faut savoir faire confiance à son équipe, car c’est ainsi qu’elle gagne en autonomie et en efficacité. Mais ce n’est pas évident car plus une crise impact personnellement, plus on va avoir envie de la contrôler. »

Les conseils pratiques en gestion de crise :

« J’ai 4 conseils. En fait c’est les quatre domaines sur lesquels j’essaye de travailler au quotidien parce que je sais que quand ça va commencer à bastonner, ça va être les quatre points clés.

1 / Savoir ralentir : c’est le rôle d’un chef, c’est de ne surtout pas appuyer sur l’accélérateur. Et même au sein du RAID, nous on est des gens d’action, mais il est toujours important de ne pas se précipiter et de prendre le temps d’observer. A commencer par les autres membres de la cellule de crise, savoir comment ils vont et s’ils sont prêts à y aller. Dans la majeure partie des cas, les boîtes ne jouent pas une crise à 5 minutes près.

2/ Savoir décider : Ne pas rester figé par ses émotions.

3/ Savoir déléguer : Le stratège a déjà tellement de trucs à penser sur la vision qu’il va donner, sur la stratégie qu’il va imposer, sur la sortie de crise etc. Que plus il va déléguer, plus il va inspirer de la confiance. Et s’il inspire de la confiance, il va gagner en confiance.

4/ Savoir accepter les risques : ne pas en avoir peur.»